
La sécurité nucléaire est l’un des sujets majeurs que nous avons à affronter au cours de ce XXIème siècle. Un accident nucléaire peut dépasser en ampleur tout ce que l’humanité a déjà été amenée à connaître. Rappelons notamment que plus de 500 000 liquidateurs sacrifiés à Tchernobyl à partir de 1986 ont refroidit en extrême urgence une dalle de béton sous le réacteur en fusion. Si celui-ci était rentré en contact avec la nappe phréatique, c’est l’Europe entière qui serait devenue inhabitable pour des siècles (1).
Aujourd’hui, c’est un pays entier, le Japon, qui paye les conséquences d’une confusion des intérêts et d’une sûreté nucléaire négligée : 5 000 liquidateurs ont déjà été sacrifiés à Fukushima et la durée des travaux de démantèlement vient d’être réévaluée à plus de 40 ans. L’accès à l’information sur l’accident en cours (2) est totalement verrouillé par l’exploitant Tepco et les autorités japonaises.
On apprend toutefois grâce aux mesures indépendantes que des niveaux largement supérieurs aux normes admises (3) ont été enregistrés et que la contamination en césium 137 en « taches de léopard » a touché quasiment la moitié du pays. Une des conséquences est la contamination pour des décennies d’une partie des aliments produits au Japon comme c’est le cas depuis 1986 à des centaines de kilomètres autour de Tchernobyl (4).
L’opinion des élus EELV, membres des Commissions Locales d’Information (CLI) auprès des Installations Nucléaires de Bases (INB) est que la sûreté des installations et la sécurité des salariés et des populations ne peut faire l’objet de compromis (5).
C’est dans ce contexte que l’Autorité de Sureté Nucléaire française (ASN) a rendu le 28 juin 2012 son bilan annuel des inspections réalisées en 2011. Concernant la centrale de St Alban, le jugement de l’ASN est sans appel : « Deux sites sont en retrait : Chinon dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ; Saint-Alban, et ce depuis 3 ans, dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la protection de l’environnement. » (Extrait du communiqué de l’ASN) (6).
Le rapport lui-même tranche avec le ton, habituellement « diplomate » de l’ASN : « […] En 2011, l’ASN a constaté que des exigences structurantes prescrites par l’échelon national d’EDF ne sont pas déclinées correctement sur le site et le retard pris dans ce domaine depuis 3 ans n’est pas en voie de résorption. L’ASN considère également que le gréement de la filière indépendante de sûreté et la considération accordée aux analyses et recommandations de cette dernière dans les grandes instances décisionnelles du site sont insuffisants. […] En matière de protection de l’environnement, l’ASN considère que les performances du site sont en retrait par rapport a l’appréciation générale des performances que l’ASN porte sur EDF, le site manquant notamment de rigueur dans l’exploitation des installations classées pour la protection de l’environnement. De manière générale, l’ASN considère que le site de Saint-Alban doit prendre rapidement des mesures volontaires, concrètes et d’une ampleur adaptée à la nature des difficultés qu’elle a pu constater […] ».
La centrale nucléaire de St Alban est donc « dernière de la classe » depuis 3 ans, ce qui est une situation inédite et inquiétante puisque aucune centrale française n’avait été classée dernière 3 années de suite par l’ASN depuis sa création. La gravité de ces dysfonctionnements est pourtant niée par l’exploitant, EDF, qui s’évertue systématiquement à minimiser les critiques provenant de l’ASN ou d’associations sur l’état de sûreté des centrales françaises.
Lors de la dernière commission locale d’information (CLI) de St Alban, le 2 juillet 2012, où le problème a été clairement posé, la direction de la centrale a été incapable, encore une fois, de répondre aux graves critiques prononcées.
Rappelons pourtant que, concernant la centrale nucléaire de St Alban :
– En 2011, au total, 7065 déclarations d’incidents (DI) sont en attente de traitement pour la partie travaux dont 586 importantes pour la sûreté (cf. lettre de suite ASN du 29 juillet 2011), ce qui constitue un triste record en France. Ainsi, de très nombreuses lettres de suite d’inspection de l’ASN relèvent la vétusté de certains matériels, des dysfonctionnements de logiciels, un contrôle « peu satisfaisant » des sous-traitants, des procédures de sécurité en cas d’incident défaillantes, la formation des personnels insuffisante, …
– En mai 2011, le préfet de l’Isère a été contraint de retirer l’agrément au service d’inspection interne d’EDF des équipements, suite à l’avis ferme de l’ASN, considérant que ce service n’était plus suffisamment outillé pour accomplir sa mission (cf. rapport 2011 de l’ASN).
– Un risque spécifique à St Alban a été identifié par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) lié à la présence d’installations industrielles à proximité. Aujourd’hui « la centrale ne résisterait pas à un accident – tel qu’une explosion dans une usine chimique – survenant sur un site industriel voisin » (cf. rapport de l’IRSN – Novembre 2011). Depuis AZF, on sait que ce risque n’est pas qu’une hypothèse d’école.
Face à une situation aussi dégradée à la centrale nucléaire de St Alban, il est impératif que l’ASN prenne ses responsabilités. Il n’est plus possible qu’elle continue à édicter de simples prescriptions non contraignantes dont manifestement l’exploitant ne tient pas compte. En effet, l’ASN a légalement et pas seulement théoriquement les moyens de contraindre l’exploitant à relever le niveau de sécurité de cette centrale, notamment par l’exécution de travaux d’office. Il apparaît pourtant que ces moyens coercitifs n’auraient jamais été mis en œuvre en France. Il faut dire que de telles procédures doivent être validées par une autorisation ministérielle, ce qui amoindri évidemment l’indépendance de l’ASN.
Dans un courrier du 5 juillet 2012, Olivier BERTRAND, conseiller général de l’Isère, écologiste, membre de la commission locale d’information de la centrale de St Alban, demande donc au Président de l’ASN, M. André-Claude LACOSTE, de mettre en œuvre tous les pouvoirs qui sont de sa compétence pour que soit rétablie la sûreté de la centrale de Saint Alban et la sécurité des salariés et intervenants sur le site ainsi que celle des populations environnantes.
Nous portons l’espoir d’une sortie rapide et programmée du nucléaire ; sans attendre, nous agissons pour que la sûreté des installations existantes ne fasse l’objet d’aucun compromis. Le niveau de sûreté de la centrale nucléaire de St Alban doit impérativement être relevé avant la prochaine inspection de l’ASN !
Olivier Bertrand,
Conseiller général Europe Ecologie Les Verts de l’Isère et membre de la commission locale d’information (CLI) de la centrale nucléaire de Saint-Alban-Saint-Maurice-l’Exil (Isère)
1 – « Mon opinion est que nous avons frisé à Tchernobyl une explosion nucléaire. Si elle avait eu lieu, l’Europe serait devenue inhabitable », avait déclaré le Professeur Nesterenko, membre du Conseil interministériel à l’énergie atomique d’URSS au moment de l’accident.
2 – Rappelons que les rejets radioactifs à Fukushima sont toujours d’actualité. En France, le secrétaire général de l’ASN rappelle d’ailleurs à juste titre que « Fukushima est devant nous ».
3 – http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20110913-laboratoire-independant-annonce-davantage-enfants-contamines-fukushima 4 – http://fukushima.over-blog.fr/article-26-ans-apres-l-explosion-la-catastrophe-de-tchernobyl-se-poursuit-107639130.html 5 – https://eelv.fr/2012/05/02/eelv-isere-la-surete-nucleaire-ne-doit-pas-faire-debat/
6 http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Actualites/2012/Rapport-de-l-ASN-2011-il-y-aura-un-avant-et-un-apres-Fukushima (dans : « les autres points majeurs du rapport »)