Vous avez tous lu le projet de délibération, jusqu’à la fin où on apprend pourquoi on nous demande de délibérer aujourd’hui. Je cite : « le projet d’A45 présenté par l’Etat dans le cadre de l’enquête préalable à l’utilité publique ». Là il y a un petit problème de procédure.
Nulle part on ne nous écrit qu’il s’agit en fait de donner notre avis sur le DOSSIER d’avant projet sommaire de l’A45. Et nulle référence à ce dossier dans les documents de séance.
Qu’à cela ne tienne, je me suis quand même rendu au siège de St-Etienne Métropole pour demander s’il existait un tel dossier. Et je salue l’efficacité des services qui m’ont permis de constater qu’en effet un tel dossier existait. Le problème c’est que c’est un dossier de 466 pages et que je ne pouvais le consulter qu’aux heures d’ouverture des bureaux.
J’ai donc cherché – et réussi – à me le procurer ailleurs. Je me voyais mal en effet émettre ce soir un avis sur ce dossier alors que je n’aurais pas pu le lire.
Et à la lecture de ce dossier, on ne peut que rester perplexe. Je vais vous citer quelques exemples.
La première chose c’est la justification même du besoin de cette infrastructure qui tourne toujours autour de l’argument, que l’on retrouve d’ailleurs dans le projet de délibération : « pas d’embellie économique sans cette autoroute ».
Mais nulle part cette théorie n’est détaillée, justifiée, argumentée. Pourtant les contre-exemples ne manquent pas. Je ne détaillerai pas mais considérez juste la ville de Valence dans la Drôme. Même l’OCDE remet en cause ce lien vertueux entre développement des transports et développement économique, et elle appelle même ça une « croyance ».
Autre thème très intéressant et assez bien détaillé dans ce dossier d’APS : le thème de l’émission des gaz à effet de serre. Vous avez tous vu notre quotidien local dimanche dernier ; en première page on pouvait lire : « l’effet de serre empoisonne Rhône-Alpes », « principal responsable : les transports ». C’est l’observatoire régional des émissions de gaz à effet de serre (c’est à dire Rhône Alpes Energie Environnement, structure à laquelle nous, St Etienne Métropole, adhérons) qui tire la sonnette d’alarme.
Les auteurs du dossier d’APS estiment que cette nouvelle autoroute augmenterait nos émissions de CO2 de 12% à l’horizon 2035 (p 121). Les émissions de gaz à effet de serre sont d’ailleurs monétarisés (p 364) : 40 000 € /jour de plus uniquement dus à cette nouvelle autoroute. Ce qui fait quand même environ 15 M€/an d’après cette étude.
Autant dire qu’un tel projet n’aidera pas la France à respecter ses engagements de diviser par 4 ses émissions d’ici 2050.
Mais restons-en là sur les généralités : les arguments des promotteurs de cette autoroute ne me convainquent pas. Et j’imagine que mes arguments, pourtant justifiés, ne convainquent pas mieux les plus farouches défenseurs de cette A45.
Passons donc au dossier d’APS lui-même, sur lequel nous devons donner un avis. J’aimerais juste vous montrer quelques graves lacunes dans ce dossier, que l’on ne peut pas, à mon sens, passer sous silence dans notre délibération.
Tout d’abord, ce dossier repose sur des données et des études beaucoup trop anciennes. Je cite juste 2 exemples qui permettent aux auteurs de rejeter l’hypothèse du train comme alternative crédible. Je cite (p 418) : « La qualité de diffusion de l’offre ferroviaire dans l’agglomération stéphanoise est relativement mauvaise, du fait de la localisation de la gare de Chateaucreux, loin de la ligne de tramway. » Puis page suivante : « la gare de Saint-Etienne- Chateaucreux est enclavée ». Même chose sur les capacités de la ligne ferroviaire entre St-Etienne et Lyon : les hypothèses de l’étude sont de 10 000 voyageurs/jour actuellement pour arriver dans le meilleur des cas à 23 000 en 2020. Alors que la réalité aujourd’hui c’est qu’on est déjà à 14 000 et non pas à 10 000, et que les hypothèses de croissance de ce trafic sont très largement sous-estimées.
Cette partie de l’APS est beaucoup trop ancienne pour permettre d’évaluer les réels impacts du projet.
Même chose sur les études économiques du ferroviaire : sans l’A45 l’hypothèse de travail retenue pour l’alternative ferroviaire est un scénario à 1.4 milliards d’€. Donc la conclusion est facile : c’est trop cher. Mais si jamais on fait l’A45, le scénario choisi pour montrer que le fer peut être complémentaire à la route, c’est un scénario à 144 millions d’€ (10 fois moins qu’avec l’hypothèse précédente pour des résultats comparables). Tout ça ne fait pas très sérieux.
Autre thème vraiment traité à la légère dans l’étude : les effets sur la santé. A chaque fois qu’un excès de risque est identifié (et il n’en manque pas) il est rejeté soit sous prétexte d’incertitude de calcul, soit parce qu’il est imputable à la situation de référence (c’est à dire sans A45) qui est défavorable. Donc conclusion : le projet a un impact non significatif sur la santé. Donc aucune mesure n’est préconisée. Là encore ça ne fait pas très sérieux. Lisez cette partie, elle ne fait que 10 pages.
Venons-en maintenant, pour terminer, aux objectifs du projet et voyons comment l’étude dit que l’A45 va y répondre.
1ère critique de l’A47 : trafic trop important et donc des bouchons à Givors. Regardons les chiffres : en 2004 d’après l’étude ce sont 60 000 v/j. Réponse avec l’A45 ? En 2020 il y aura 79 000 v/j à Givors sur l’A47. Qu’est-ce qu’on aura résolu ? Pour les 30 000 v/j qui se rendent dans l’ouest lyonnais peut-être, et encore … nos collègues lyonnnais ne semblent pas de cet avis ! Mais pour les 79 000 v/j qui se rendent dans l’est lyonnais, à St-Exupéry, dans les Alpes, à Grenoble, en Suisse, dans la vallée du Rhône, … nous n’aurons rien résolu du tout : ils auront les mêmes bouchons à Givors.
2ème critique : temps de trajet trop long. Réponse avec l’A45 : gain de 10 minutes (je n’invente rien c’est page 437).
3ème critique : mélange des flux locaux avec le transit Lyon-Toulouse. Là il faut être attentif car ça devient encore plus important. En fait l’étude d’impact ne porte pas seulement sur l’OPERATION A45 mais sur le PROGRAMME A45, c’est à dire en y incluant notamment le COSE. Vous êtes tous d’accord avec moi, sans ce COSE, l’A45 seule ne résoud rien pour l’axe Lyon-Toulouse.
Réponse avec l’A45 et le COSE : la RN88 dans sa traversée de St-Etienne passe de 80 000 v/j actuellement à 78 000 v/j en 2020. Le gain est strictement nul sur la RN88. On ne résoud rien du tout.
Et pourtant si on consulte d’autres documents de la DDE, on voit que le COSE, avec l’A45, en 2015 ça serait 74 000 v/j en pleine zone urbanisée de St-Genest-Lerpt, avec mélange du transit Lyon-Toulouse et du trafic local.
Exactement ce qu’on reproche, à juste titre à la RN88 dans sa traversée de St- Etienne, ou à l’A47 à Givors et Rive de Gier, et bien l’A45 avec le COSE propose de le reproduire à l’identique sur l’Ouest Stéphanois. Je signale au maire de Rive de Gier qui se plaint à juste titre des nuisances de l’A47, qu’actuellement il n’a que 50 000 v/j : le COSE, dans St-Genest-Lerpt, avec l’A45, c’est une prévision de 74 000 v/j (50% de plus qu’à Rive de Gier actuellement). Est-ce que notre délibération peut honnêtement passer sous silence une telle prévision ? Est-ce que l’Ouest stéphanois ne fait pas autant partie de l’agglomération que l’Etrat, La Talaudière, ou les coteaux du Jarez ?
Et puis il reste le problème du financement : l’opération A45 est estimée à 1.2 milliard d’€. A ça il faut ajouter les autres opérations du programme : 272 M€ pour le COSE, 144 M€ pour l’amélioration du ferroviaire, et pour la mise à niveau de l’A47 (« estimation sommaire » dit l’étude, même si le courrier du ministre de l’équipement de janvier 2004 demandait que cette évaluation soit revue) c’est environ 95 M€ (selon l’étude, ce ne sont pas mes chiffres, et j’ai la vague intuition que pas mal de ces coûts sont sous-estimés) : 1.7 milliard d’€ et je ne compte ce qu’il faut faire côté Lyon, notamment le COL. Qui paiera ? Rien que pour l’A45, l’étude estime jusqu’à 600 M€ la part de financement public ? Combien, à SEM, estimez-vous qu’on pourra donner pour ce programme ? Est-ce que notre délibération peut passer sous silence ces aspects financiers ?
En conclusion, Monsieur le Président, je vous propose de différer cette délibération le temps que les membres de cette assemblée puissent prendre connaissance de ce dossier très intéressant, qu’une commission ad-hoc puisse être formée spécifiquement sur ce sujet de façon à rédiger une délibération moins complaisante et plus motivée, qui prenne en considération l’ensemble de notre territoire, y compris sa partie Ouest et la vallée de l’Ondaine. Si nous ne perdons pas de temps, et le sujet le mérite, nous pourrons délibérer dans de meilleurs conditions au conseil communautaire de décembre.
Et j’aurais grand plaisir à participer activement et constructivement à une telle commission, si toutefois vous acceptez de la créer.
Philippe Beaune
Adjoint de St Genest Lerpt (Loire)
Conseiller communautaire Vert de St Etienne Métropole
Avis sur le projet A45